Les championnats du monde natation. Une vitrine supplémentaire pour Shanghai ?

 

Dans le bassin ultra moderne, le spectacle est partout. La natation disicipline pour le moins compliquée à mettre en scène est délibérément relookée à l'image d'une mégalopole qui souhaite attirer l'attention du monde entier sur la transformation  radicale d'une économie au détriment comme toujours des plus démunis.

Le port en eaux profondes de Shanghai est situé à plus d’une heure de route du centre ville. Un pont long de 32 kilomètres relie le continent à l’archipel sur lequel les hommes l’ont construit il y a quelques années à peine. Au milieu de la campagne qui s’étire le long de la route principale, se trouve la ville nouvelle de Lingang, qui tout  comme le port, a été créée de toutes pièces en un temps record.

A l’origine, Lingang n’était qu’un modeste  village de pêcheurs, dont les habitants ont  depuis  été relogé, le plus souvent d’ailleurs  contre leur gré,  dans les tours qui encerclent la ville nouvelle. Des fenêtres de leurs nouvelles demeures les pêcheurs n’aperçoivent même  plus la  mer de Chine nourricière.

Cette ville du futur, aux infrastructures ultra modernes, érigée trop vite au milieu de nulle part, a pris  dans les premiers temps, des allures de ville fantôme. Qui pouvait bien   ressentir un quelconque attrait  pour un ensemble  architectural  sans histoire, ni perspectives ?  Les autorités  conscientes du problème ont décidé de délocaliser brutalement deux des plus grandes universités de Shanghai, contraignant plusieurs milliers d’étudiants et d’enseignants à venir  s’installer  à Lingang et favorisant ainsi artificiellement  l’essor d’une économie basée sur le commerce et les services.

 Le port semble avoir été conçu selon le même raisonnement. Le site pour l’heure quasiment désert, est appelé à devenir  rapidement  le  plus important au monde en terme de trafic maritime. Il a déjà paraît-il dépassé Rotterdam.  L’autoroute  nous conduit jusqu’à un promontoire qui permet à distance de juger de l’activité portuaire. Sans doute est-elle intense ?  Impossible de toute façon d’aller y regarder de plus près. Nos gardes chiourmes se montrent sur ce point précis,  intransigeants. Des milliers de containers empilés patientent au soleil, le temps d’être emportés par des engins robotisés.  L’homme, dans ce théâtre fantôme, reste quasiment invisible, comme si une autorité de l’ombre,   l’avait congédié, comme si malgré le coût dérisoire de la main d’œuvre locale, on lui préférait désormais la texture glaciale des machines.

Le seul  restaurant à proximité du port ressemble à ces fleurons du communisme triomphant. Une salle immense, du personnel en abondance et des tables désespérément innocupées. Sur la carte les prix ont été multipliés par cinq par rapport à ce qui se pratique d’ordinaire en ville. « Difficulté d’approvisionnement « Plaide, sans conviction,  la serveuse au teint blafard.  Ici, la peau blanche se revendique. Elle  est un gage de beauté et de bonne santé. Les chinois répugnent à s’exposer au soleil et la grande majorité des populations  maritimes d’ailleurs  ne sait pas nager.  De toute façon  les eaux fortement   polluées par le rejet massif  de produits  toxiques des industries lourdes n’incitent guère à la baignade. L’ocre boueux des flots a chassé  le  bleu turquoise  des rivages de  la mer de Chine. Le port en eaux  profondes est condamné à n’être qu’un port en eaux troubles.

La serveuse dépitée regarde s’éloigner ses uniques clients. Nous déjeunerons pour 10 yuans (L’équivalent d’un euro) d’un plat de nouilles sautées, agrémenté d’une cuisse de canard, sur l’autoroute du retour. La cantinière itinérante a le visage rougeaud et buriné des paysans, qui de guerre lasse, ont quitté leur lointaine province  pour tenter leur chance en ville. Elle a disposé sur le bas côté de la route une table pliante et de minuscules tabourets bleus en plastiques. Le feu couve sous une immense gamelle. Elle nous sert des portions de rois dans des récipients à usage unique et s’amuse de voir tous les routiers converger vers cette table fameuse qui a su attirer l’attention des honorables voyageurs. Il est temps de regagner l’est du Pu  et prendre un peu  d‘altitude.

Perché au 96ème étage du World Trade Center, la tour la plus haute de Shanghai,  à 480 mètres au dessus du sol, sur une nacelle, les jambes flageolantes, le cœur battant la chamade, je prends toute la mesure de la folie des hommes.  Il suffirait de presque rien pour tout bascule.Le « Décapsuleur » qui surplombe Shanghai a été conçu par l’architecte japonais Mori. A l’origine le toit de la tour devait être couronné par  un cercle perçé. Une allusion trop directe à la pastille rouge sur le drapeau du Japon. Innaceptable donc  pour le voisin chinois. Mori a donc  coiffé la tour géante d’un rectangle ajouré qui fait penser  curieusement à l’ustensile qui permet de décapsuler les bouteilles.  

Au dessus de ce grand terrain de nulle part, de toutes petites choses luisent, ce sont des gens dans des chemises. Pour plagier Bashung, les capitales sont toutes les mêmes devenues, vêtues d’acier, vêtues de noir comme un lego mais sans mémoire. Le décapsuleur remporte pour l’heure   ce concours de phallus extravagants mais ses jours sont comptés. Le challenger   qui le dépossédera bientôt  de son record, est déjà en train  de sortir de terre. Impossible de dénombrer les tours achevées, ni les chantiers en cours. Plusieurs milliers assurément. Le sol miné par ces agressions s’affaisse dangereusement. Mais il est trop tard pour faire machine arrière. Shanghai cherche à toute force à se défaire de l’étiquette de pôle industriel polluant, qui lui colle à la peau. La ville du sud  n’aspire qu’à devenir la reine de la finance mondiale. Elle n’a trouvé d’autre biais pour y parvenir  que de défier  les cieux.

Une vision d’apocalypse me traverse l’esprit. L’homme arrogant, assommé, nié,  sous la chape de  ses propres  créations. La planète gagnée par la démence.