Quel 100 mètres ! Incroyable, historique, cauchemardesque !
A cette cascade de superlatifs concernant le déroulement de l’épreuve reine des championnats, il faut y accoler pour ce qui est du ressentiment du public un sentiment mêlé d’amertume et de frustration. De tous les scénarii échafaudés personne n’avait osé imaginer celui incluant un faux départ d’Usain Bolt.
Tout simplement parce que l’athlète jamaïcain supporte à lui seul le poids écrasant de toute une discipline. Or Bolt n’est qu’un homme, certes génial et facétieux mais aussi faillible comme tous les autres. Et depuis son éclosion au plus haut niveau on avait tendance à négliger ce dernier point.
Aujourd’hui, j’en entends quelques uns, qui hier encore criaient au génie, critiquer la décontraction avec laquelle Usain se présente dans les blocks et assure le spectacle sur la piste. Une partie de l’opinion, on le sait, est versatile et toujours prompte à déboulonner les idoles.
C’est pourquoi avec un minimum de recul, il convient de relativiser la fragilité supposée de la poutre maîtresse qui soutient l’édifice athlétisme. Bolt tant en série qu’en demie a montré qu’il n’avait rien perdu de sa prestance et de sa vélocité. Ce crime de lèse majesté dont certains l’accusent, tous les seigneurs du sprint l’ont commis au moins une fois avant lui.
Et si personne alors ne leur en avait fait le grief, c’est parce qu’à l’époque l’athlétisme n’était pas dépendant d’une seule de ses stars. Là réside toute le problème d’une discipline jadis phare. Et l’IAAF ferait bien de se pencher sur la question pour stopper l’érosion annoncée, car Usain aussi génial et bankable soit-il n’est ni faillible ni immortel.
Un jour, sans doute encore lointain, lorsque ses performances stagneront, il lui faudra passer la main. A Yohann Blake net vainqueur d’une course de dupes à Daegu ? Pourquoi pas ?
Le gamin qui ne manque pas de talent, est jamaïcain lui aussi. Il s’entraîne avec le maître et tente laborieusement d’assimiler ses mimiques et sa posture. Hier c’était encore un peu tôt d’où le sentiment de frustration d’amertume ressenti par la planète sport.
Amertume doublée de frustration dans le camp français. Tous les ingrédients étaient pourtant réunis pour ce rendez vous avec l’histoire. Pour la première fois deux bleus étaient invités au banquet des rois.
La course s’annonçait somptueuse. On se prenait à rêver de l’impensable. Et puis Bolt a trébuché et le soufflé d’un seul coup est retombé. La finale devenait un galop ordinaire privée de ses purs sangs car derrière la défection de Bolt affleuraient celles de Gay et de Powell.
Christophe Lemaître était du coup un médaillé en puissance, propulsé du rang d’outsider à celui de favori. La charge immense qui pesait sur les épaules de Bolt retomba d’un seul coup sur les siennes. Il eut beau aller chercher de l’air au plus profond de lui, rien n’y fit. Il étouffait.
Christophe échoua au pied du podium qui s’offrait et longtemps après il garda un goût d‘amertume au fond de sa gorge.
Avait-il raté la course de sa vie ? Certes non ! Il venait simplement d’enrichir son vécu. Et comme dans la fable, c’est sûr, on ne l’y prendrait plus.
Christophe comme Usain nous donnaient implicitement rendez vous sur 200 mètres. Pour une revanche, l’expression sur la piste de leur immense talent.