Avec mes élèves journalistes à l’ESJ nous avons tenté d’inventorier les différentes techniques de l’interview. Parmi les exercices proposés, chaque reporter en herbe devait tenter de déstabiliser l’interlocuteur de son choix selon un questionnaire élaboré en conséquence.
La première question neutre pour installer un rapport de confiance, la seconde pour préparer l’offensive la troisième pour se découvrir et la quatrième pour porter l’estocade.
Le but étant d'apprendre au journaliste débutant à déjouer les propos convenus, à contourner la sempiternelle langue de bois.
Jacques Monclar, Thomas Touroude, Gilbert Bribois, Vincent Duluc, Michel Bernard et Joël Quiniou se sont par exemple gentiment prêtés au jeu des questions poil à gratter. Mais l’entretien le plus intéressant a été celui accordé par Frederic Brindelle le chantre du handball et du cyclisme sur Canal Plus. Emporté par sa passion, mon confrère selon le point de vue duquel on se place est loué ou porte le flanc aux critiques.
La déstabilisation mise en place par Nicolas son intervieweur a porté sur la nuance que Frédéric souhaitait souligner entre commentateur supporter ou franchouillard. S’il se revendiquait volontiers le « supporter » des athlètes français il refusait énergiquement qu’on lui accole en guise de dossard le qualificatif de « franchouillard ».
Je me sens finalement assez proche de cette position à une nuance près toutefois. Supporter, autrement dit aimer avec passion, ne constitue en rien une faute pour un journaliste s’il sait garder le sens de la mesure et ne constitue pas un obstacle majeur à sa mission d’information.
Je me refuse seulement pour ma part à réserver cette tornade affective aux seuls champions français. L’athlétisme dans lequel les tricolores ne brillent pas toujours au firmament, offre de telles opportunités d’apprécier d’autres cultures de découvrir d’autres personnalités que de s’arrêter aux frontières de l’hexagone constituerait une erreur tragique.
Voilà pourquoi j’ai porté dans mon cœur et dans mes commentaires dans la même logorrhée affectueuse Hicham que Stéphane, Marie Jo que Nawal.
Mais le week end dernier j’ai ressenti une joie indicible, une fierté de jouir du privilège de commenter sans doute encore plus puissante qu’à l’ordinaire moi qui me nourrit pourtant en toutes circonstances d’émotions violentes.
Vanessa Boslak s’est parée d’argent. Ma Vaness sacrée deuxième perchiste mondiale à Istanbul à 10 centimètres seulement de la référence de la discipline, Yelena Isinbayeva ! Je ressens pour Vaness une profonde admiration. Voilà une athlète gravement blessée, contrainte de ronger son frein et de ravaler ses angoisses durant trois longues saisons. Je fais partie des amis qui ont choisi de se taire plutôt que lui assener la triste réalité. « Oui Vaness, ce serait plus sage de raccrocher, d’envisager l’après plus tôt que prévu. » J’aurais pu hurler cette évidence à ses oreilles qu’elle n’aurait pas bronché. Une petite voix tapie quelque part en elle, lui intimait en dépit de tout, de s’accrocher à ses rêves.
Lorsque dimanche dernier en Turquie son corps esquiva parfaitement dès sa première tentative, une latte posée à 4m70 du sol, j’ai compris ce qu’être athlète de haut niveau signifiait vraiment. Un corps rompu aux entraînements les plus exigeants ne suffisait pas si un mental d’exception ne lui était pas associé.
Mais si aujourd’hui je confesse humblement être un supporter inconditionnel de Vaness, c’est parce que en plus de son talent et de son abnégation, elle aime profondément les autres, démentant l’adage selon lequel les sportifs de haut niveau ne voient la marche du monde qu’au travers du prisme de leur petit nombril.