Dimanche c'est marathon. Trottine, trottine ...

Dimanche désolé j’ai marathon.  Et pour le coup, cet aveu n’a rien d’une excuse. C’est un aboutissement, un rendez vous majeur pour 40000 amoureux de l’effort gratuit, 40000 paires de gambettes décidées à arpenter le macadam en faisant fi des souffrances, pour s’en remettre à la puissance de persuasion du cerveau lorsque le corps épuisé demande grâce.

J’adore commenter cette épreuve et je ne me lasse jamais depuis toutes ces années de contempler le long ruban multicolore qui  s’égrène joyeusement dans ce Paris apaisé. Paris vu du ciel ou du sol martelé. Paris des monuments  éternels aux artères souillées par les bouteilles plastiques et les sacs poubelles. Paris rendu aux piétons, aux sourires d’enfants et à la fierté des hommes et femmes de se retrouver le temps d’un dimanche en phase avec leur corps et leur souffle.

La semaine qui précède le marathon, je reçois de toute part  des encouragements, des témoignages, des informations  et des suppliques. Des anniversaires à souhaiter, des maladies rares à médiatiser, des familles intrépides à identifier dans l’imposant peloton. Chaque année j’essaye de  faire pour le mieux, d’essayer de n’oublier personne.

Je me délecte des messages brandis à bout de bras sur des pancartes qui tentent d’impressionner les caméras. Plus rarement je reçois après la course des comptes rendus. Et jamais je n’ai  l’occasion de souligner leur pertinence puisque le marathon a vécu  et qu’un autre évènement sportif d’envergure prendra sa place.

 Je voudrais donc ici repérer cette absence et coucher sur ce blog quelques extraits d’un témoignage que Didier m’avait adressé l’année passée. Pour son 10ème marathon, il portait le dossard 32443 et s’était fixé comme objectif chronométrique 4h10.

«Je ne laisse pas gagner par une quelconque euphorie dans les premiers hectomètres. Je respecte les 5’35 au kilomètre et je me sens plutôt bien. »
« Au km 3,5 j’ai déjà des supporters (mes parents) et le manque de les rater ! Premier ravitaillement au km5  et je prends garde de m’hydrater sans oublier de m’asperger. La place de la Bastille est bondée. »
«  Passage devant l’hôpital St Antoine  et premiers encouragements de Clémence avec son parapluie. Mine de rien cela me permet d’oublier pendant plusieurs centaines de mètres qu’il fait déjà chaud. »
«  La première difficulté approche avec l’avenue Félix Eboué (km7)...La descente de l’avenue Daumesnil permet de récupérer avant la côte de l’arrivée au bois de Vincennes. »
«  Au deuxième ravitaillement, je marche pour boire tranquillement. Au km 10 je constate un retard sur mon plan de marche. 58’30 au lieu de des 56 souhaitées. »

«  La partie la plus pénible du bois de Vincennes est devant moi. La grande ligne droite de la route de la pyramide jusqu’à l’hippodrome…Vers le km 15 je sens déjà un échauffement du pied droit. Malgré les protections, je sais que c’est  le début d’une ampoule. Je n’ai plus qu’une idée en tête. Dans quel état vais-je être dans les prochains kilomètres ? »

 
« Le retour dans la ville par la rue de Charenton avec la longue descente jusqu’au pied de la rue Taisne me remonte quelque peu le moral. »
«  Au km 20 dans la côte précèdent l’arrivée à la mairie du 12ème, je panique en ne trouvant pas d’eau au ravitaillement. »

« Passage au semi en 2h06 au lieu des 1h56 espérées. Je n’ai pas trop le temps d’y penser car j’aperçois Clémence et son parapluie. Porté par les « Allez Papa » hurlés par ma Clémence, pas loin de l’hystérie, je parviens à zapper les douleurs qui m’obsèdent depuis déjà 6 km. »

«  J’ai de plus en plus mal à l’approche de la Bastille. La foule présente m’interdit de m’accorder une petite pause si loin de l’arrivée (km22, 5) la chaleur est d plus en plus forte et le dessus de ma cuisse gauche me fait de plus en plus mal. »
«  Au km 23 je dois me résoudre à marcher pour détendre mes muscles et m’asperger mes cuisses. »
«  A un instant j’envisage d’abandonner…J’écarte très rapidement cette idée de mon esprit car famille te amis m’attendent sur la suite du parcours. «

«  Mon père m’informe que Roberto est passé 6 minutes plus tôt. Il m’a décroché au km22 et m’a pris 6 minutes en 2 km ! »
«  La prochaine étape pour moi est le km 29. La traversée du tunnel des Tuileries est comme d’habitude  désagréable. Il y fait encore chaud et il n’y a de spectateurs. »
«  Pascal, mon lièvre de luxe, m'attends au km 30, je  lui dis que je suis à l’agonie. Ses premiers mots. Allez Didier on va aller jusqu’au bout. Ne marche pas. Trottine, trottine ! »

«  La rue Mirabeau est un véritable calvaire. J’ai l’impression de ne plus avancer. Pascal ramasse des bouteilles d’eau à moitié pleines dans le caniveau et m’asperge les jambes de plus en plus douloureuses. »
« Le long du stade Roland Garros, je dois m’arrêter pour récupérer un peu. T’arrête pas Didier, trottine, trottine. On va jusqu’au bout ! »

«  Porte d’Auteuil, la foule est dense et le passage étroit. Pascal réveille les spectateurs.  Encouragez-les, ils sont complètement nazes, il faut les aider ! »

 

«  J’aperçois Clémence et son parapluie. La charge émotionnelle associée à la douleur me fait éclater en sanglots. »
«  L’arrivée dans le bois de Boulogne par l’avenue de l’hippodrome est un supplice. Le bitume a été remplacé par de gros pavés. Je regarde mon chrono. Déjà 4h05 ! »

«  A 5 km de l’arrivée Pascal me dit. Allez Didier 5km on connait. On a l’habitude ! J’essaye de me tenir le plus droit possible même si des douleurs de plus en plus fortes me tiraillent le milieu du dos. »

«  Il me reste 3km, soit 2 fois 1500 m. moralement c’est plus facile de penser à 2x1500m qu’à 3x1000 m. Cela peut paraître idiot mais quand on n’en peut plus, on se raccroche à n’importe quoi ! »

«  Je m’arrête et Pascal me prend par le bras gauche. Il ne me lâche plus et nous repartons pour 2 km d’anthologie. J’aperçois le km41 et encore une légère montée. Tel un convoi présidentiel, Pascal me fraye un passage au milieu des concurrents fourbus par ces 4h30 d’efforts. »

«  Je dis alors à Pascal. On franchit la ligne ensemble. J’avais peur qu’un organisateur l’empêche d’emprunter l’avenue Foch. Il me reste un semblant de force pour faire bonne figure devant les photographes à 50 m de la ligne pour immortaliser l’instant. Enfin la ligne je ne peux pas faire 2 mètres de plus. »
« Je m’écroule. Mes jambes ne me portent plus. Je ne perds pas conscience quand les secours m’installent sur un brancard. Je pleure ce qui me reste d’eau tellement je suis fatigué. Ma tension est retombée à 8,6. »
«  A la relecture de ce récit, j’imagine que certains ne comprendront pas que l’on puisse se mettre dans un tel état de fatigue alors qu’il n’y rien à gagner. Je leur répondrais. Comment expliquer l’inexplicable ? Même si ma performance chronométrique me déçoit ce que j’ai vécu pendant les 12 derniers kilomètres restera à jamais gravé comme l’un de mes plus beaux souvenirs de coureur à pied. Cela me servira pour les moments difficiles. J’aurais toujours dans la tête cette petite phrase. Trottine, trottine. »

Merci pour ton témoignage Didier, marathonien inconnu, qui incarne si bien l’idéal de tous les aventuriers qui le sourire au lèvres se lancent un matin dans la grande aventure. Nul besoin de terrasser un adversaire lorsque le principal enjeu reste la fierté de soi- même.