. Voilà 20 ans que j’ai écrasé ma dernière cigarette. C’était par une matinée chagrine au mois de mars 1992. J’étais arrivé essoufflé après avoir péniblement gravi les 23 marches de l’escalier de la station de métro Bonne Nouvelle, sortie rue de la Lune.
Je me sentais vieux sale et las. Il fallait que je me sente au bout du rouleau pour renoncer au plaisir inouï d’aspirer la première bouffée d’herbe à Nicot après avoir avalé mon café le matin. La tête qui tourne délicieusement, la drogue qui s’insinue dans les veines.
Le sevrage aura constitué l’une des épreuves les plus pénibles de ma vie. Mon cerveau tourmenté imaginait tous les stratagèmes possibles, échafaudé tous les scénarii vengeurs pour tenter de gommer l’espace de quelques secondes l’épouvantable sensation de manque, dissiper les crampes à l’estomac.
J’ai résisté tant bien que mal et engraissé pour ma peine de 10 kilos. J’étais à deux doigts de renoncer à cette torture, à donner raison aux marchands de mort lorsque Bernard Faure m’a suggéré de m’adonner à la course à pied.
45-15 pour commencer. 45 secondes à trottiner, 15 pour récupérer. Mon coeur battait la chamade. Mes poumons étaient proches de l’implosion.
20 ans plus tard, me voilà guéri de mon addiction au tabac. Mais je suis devenu accroc au macadam. Bigorexique pour reprendre une terminologie à la mode.
Je brûle des Asics jaunes fluo au lieu des Rothman’s rouge. Mes articulations grincent mais mes poumons me remercient chaque jour. Mon cerveau ventilé par l’effort est le lieu béni de toute une série d’évidences que je vous livre ne vrac sans savoir si elles correspondent à autre chose que ma part de vérité.
-Quand je cours j’ai l’impression de mieux réfléchir, de me sentir plus intelligent
-Quand j’ai terminé mon footing je suis si fier et si léger que j’ai la sensation être perçu différemment dans les regards que je croise dans la rue. Comme si des ondes positives émanaient de ma personne, me poussaient à faire de nouvelles rencontres.
-Je me sens plus tolérant dans l’effort moins enclin à cataloguer mon voisin de souffrance. Pas de connotation sociale ou raciale. L’effort dans la sueur implique une solidarité, une compréhension accrue de l’autre.
Je m’aperçois que le langage peut s’avérer superflu. On a tellement à apprendre d’un salut discret, d’un encouragement bref avorté par un souffle court.
Je suis à l’écoute de mon corps, sensible à ses signaux de confort ou de détresse. J’ai l’impression de mieux le connaître et donc de respecter l’état de sa forme.
La course est le meilleur antidote au stress quotidien. Plus sûrement que toutes les médications, la possibilité d’apaiser les bouillonnement de son cortex surmené.
Je refuse le chronomètre, tout ce qui me rapproche d’un ordre établi au préalable. Je préfère étalonner mon parcours, le casque sur les oreilles, au nombre de chansons qui se sont succédé pendant ma promenade. Aujourd’hui j’ai fait une sortie au Champs de mars à 16 titres.
Je précise enfin que je ne participerai jamais à une course avec un dossard sur le ventre ou un chrono à la main. Question de philosophie et de liberté. La course je la pratique à l’envie, spontanément, depuis 20 ans et pour longtemps encore je l’espère.
Mais j’ai infiniment de respect pour ceux qui se lance dans le défi du marathon. Je leur souhaite du fond du cœur beaucoup de plaisir pour dimanche.