Zoltan vient nous cueillir à l’hôtel au volant de sa luxueuse Mercedes. L’un de ses bons amis tient un hôtel restaurant à quelques kilomètres du centre ville. L’affaire semble florissante. La proximité de l’Autriche et de l’Allemagne offre des perspectives intéressantes au plan touristique pour peu que l’on ait les moyens d’investir dans le confort à la campagne.
Le SMIC en Hongrie stagne aux alentours de 200 euros. La nouvelle politique fiscale mise en place par la Fidesz , encourage les entrepreneurs au détriment de la protection sociale.
Zoltan, le premier adjoint au maire de la ville , joue à merveille son rôle de facilitateur de bonnes relations. Sa compagne nous attend à l’entrée de l’auberge.
Tindu, de 15 années sa cadette, est une camarade de collège de notre guide. Les deux jeunes femmes qui ne sont pas vues depuis 25 ans tombent dans les bras l’un de l’autre. La bonne humeur de Tindu est communicative. La jeune femme s’adapte parfaitement aux desseins de Zoltan qui imperturbable tisse sa toile dans l’ombre. Tindu rit aux éclats et évoque son prochain voyage à Paris pour ne rien rater de Roland Garros tandis que son homme déplace ses pions sur l’échiquier.
Le temps nous est compté. Attila, le patron de l’auberge, semble contrarié. Il faudra avaler le programme concocté au pas de charge. Notre hôte nous assure que les équipes de la télévision françaises logeront chez lui durant les championnats d'Europe de natation
Pour un peu je me porterai candidat. L’endroit est idyllique. L’auberge est bâtie dans un complexe de 5 hectares qui englobe une ferme et des écuries. Nous avons droit à une promenade express en calèche, une démonstration de dressage de chevaux et de claquement de fouet, lorsque l’animal dompté finit par s’allonger sur le sol.
Un avant goût de ce qui nous attend dans la puszta toute proche, la grande plaine de Hongrie, où la vie semble s’être arrêtée au début du 20ème siècle. Le parc national de Hortobagy a conservé intact le paysage culturel façonné par la société pastorale. L’harmonie entre l’homme et la nature est parfaitement raccord avec la prise de conscience écologique des peuples du nord de l’Europe. Des troupeaux de moutons et de zébus à robes grises et longues cornes paissent dans la steppe rase, encadrés par des bergers en habit traditionnel bleu roi et des chiens noirs au regard fou et au poil hirsute.
Le contraste avec la société post industrielle est saisissant. Dans notre calèche tractée par deux robustes percherons, nous nous attendons à chaque instant à voir déferler les hordes mongoles emmenées par le grand khân. En ce mois d’avril la puszta est déserte comme si la grande peste bubonique venait de frapper d’effroi la population dont les survivants restent terrés dans des huttes légères faites de branchages et de roseaux. Les moutons à la laine noire et aux cornes torsadées sont consignés au chaud dans les bergeries. A quelques pas de là, le pont de pierre à neuf arches, le plus long du pays, est le dernier témoin du point de passage obligé pour les éleveurs qui allaient vendre le bétail au marché de Vienne en Autriche distant de 400 kilomètres.
De cet habitat chiche ne restent que les csardas aux toits de chaume ou de tuile. Des auberges relais où les plus fortunés pouvaient boire, dormir et se restaurer. De l’autre côté de la route un hangar était réservé aux plus démunis et aux montures exténuées.
Zoltan consulte sa montre et nous invite à passer à table. D’un geste péremptoire de la main il ordonne à Petra et à Tindu de prendre place à ses côtés. Un signe qui ne trompe pas.
L’homme de pouvoir ne souffre pas qu’on lui résiste. Le repas est succulent. Une soupe riche et onctueuse. Des pièces de viande et des poissons cuits au four. Un tokay rouge au parfum délicatement fruité. Le patron en bout de table observe nos réactions. Zoltan semble satisfait.
Les relents discriminatoires de la politique de Victor Orban se dissipent comme par enchantement dans les vapeurs d’alcool et les panses apaisées.