Je ne connaissais pas précisément Kiev mais le temps y est comme suspendu. Sitôt sorti de l’aéroport, éloigné des palissades dressées à la hâte pour célebrer l’Euro de football , le voyageur rompu aux expériences au délà du feu rideau de fer, est brutalement projeté en arrière, ramené sans management à cette époque étrange.
L’autochtone souffre en silence, le nanti fraîchement débarqué de l’avion, l’observe comme un personnage méprisé par l’histoire . Je me remémore des temps oubliés, à l’abri des vitres épaisses de la Mistubishi avec chauffeur, mise à notre disposition par NTU, la télévision d’état.
Pour un peu le curieux s’assoupirait bercé par le ronronnement du moteur, hypnotisé par la quatre-voies sans fin qui défile jusqu'au centre ville.
Quel centre, quelle ville ? Une succession d’immeubles sans âmes, aux façades pisseuses et décrépies, saignées béantes offertes à tous les vents, bordées de forêts clairsemées. Kiev décline son ennui et sa misère sur d’interminables kilomètres. Des arrêts de bus glacés et désincarnés, des échoppes miteuses rognent l’herbe folle polluée par les carcasses de tôles qui jonchent les terrains vagues. Des gens dans ce fatras progressent sur le bas côté , lentement en procession.
Même les plus jeunes semblent vieux.Ils prouvent à ceux qui les regardent encore, qu’une vie est possible à condition d’être né là et d’avoir cru au grand bluff des démocraties populaires. Seul le Dniepr majestueux, large comme deux Loire juxtaposées dilate encore leurs pupilles accablées par l’inertie et la résignation.
Kiev capitale de l’Ukraine, lieu de célébration de la révolution orange reste inexplicablement sur ses gardes, figé, comme si les vieux apparackiks du parti continuaient dans la pénombre des cimetières de présider à la destinée de cette république de l’ex URSS.
Après une heure et demie de tristesse et d’impuissance nous arrivons à destination. Nous sommes logés dans un hôtel de construction récente labellisé 4 étoiles, sans ascenseur, ni wifi. La douche snobe définitivement l’eau chaude et la chambre compense ce déni comme si le thermomètre dehors annonçait déjà février.
Nous ne sommes pourtant que début décembre et le réchauffement climatique est perceptible ici comme ailleurs. L’air est encore doux. Je me hasarde à pied dans les environs immédiats. Rien n’a changé depuis des siècles. Des vieilles femmes en anorak, fichu sur la tête, vendent au pied d’une barre d’immeuble insalubre leur chiche récolte. (radis, carottes, pommes de terre) Les rares passants courbent l’échine, insensibles au décor insensibles à leur requête muette.
Le centre ville semble si loin que je n’insiste pas. Nous sommes reclus dans une banlieue moribonde, prisonnier de la misère, au bon vouloir de la NTU et de son chauffeur muet. Il vient nous délivrer au milieu de l’après midi.
L’immeuble abritant les 2000 salariés de la télévision nationale est un hommage au stalinisme triomphant. Une ville dans la ville. Des couloirs sombres et larges comme le Dniepr, un atrium monumental sur les pourtours duquel n’importe quel étourdi pour faire son marché. La pénombre dans laquelle est plongée l’usine à fabriquer l’information, exacerbe encore plus l’étrangeté des lieux.
On s’imagine consignés dans un bunker après la fissure d’un réacteur nucléaire. Tchernobyl n’est pas si loin, dans le temps et l’espace. Des jeunes femmes heureusement vont et viennent en cortège. Vêtues à la dernière mode elles nous ramènent vers des pensées plus heureuses.
L’Ukrainienne est belle et sans doute le sait-elle. Comment dans cet univers hostile, lui en tenir grief ? Nous déjeunons à la cantine d’un bol de borch, de raviolis à la viande.
Nous avons ensuite rendez vous avec le grand patron mais il est retenu et ses assistants décident d’assurer à sa place les formalités de bienvenue. Une prise de contact singulière sans la présence des 16 journalistes et techniciens inscrits pour la formation, pour laquelle j'ai été sollicité.
On discute de tout et de rien. L’interprête fait de son mieux pour que le courant passe. Ce n’est pas que la compagnie de nos hôtes soit désagréable ! Non on a seulement l’impression de parler pour ne rien dire. On se met vaguement d’accord pour la confection d’un magazine qui permettrait de paser en revue toutes les possiblités techniques et éditoriales offertes par l’infotainment.
Je chasse de mon esprit la tentation d’installer en moi des opinions définitives. Les sensations éprouvées le premier jour à l’étranger sont rarement évocatrices de la suite à venir. Demain sera un autre jour et peut être y verrons nous plus clair