Que reste-t-il de l’héritage d’Alain Mimoun ? Quelques rues et places, quelques gymnases, quelques ronds-points dispersés dans tout le pays comme les cailloux du Petit Poucet. Autant d’attentionsdélicates vécues par le champion olympique de Melbourne comme la preuve irréfutable qu’il était dans le vrai malgré les apparences, malgré l’’irrésistible emprise de l’argent sur le sport.
La vie d’Alain Mimoun s’étale sur près d’unsiècle. Une existence entièrement consacrée à la pratique de la course à pied, à l’amour du drapeau et à une dévotion sans bornes envers legénéral de Gaulle .Une vision délicieusement surannée d’une France évaporée. Lorsque les honneurs et les médailles suffisaient amplement à rassasier l’athlète et le citoyen qui une fois sa carrière terminée, entamait une deuxième vie comme représentant de commerce ou professeur de gymnastique.
Jusqu’au bout Alain Mimoun, infatigable marathonien, aura milité pour une époque où l’amateurisme régnait sans partage. Seul le maillot frappé du coq, imprégné de la sueur des forçats du bitume, trouvait grâce à ses yeux.
Mais Alain avait l’art de marier l’intégrisme et la facétie et c’est cette alchimie rare qui le rendait profondément attachant.
Je faisais partie de ces journalistes qui prenaient un malin plaisir à le faire sortir de ses gonds. Evidemment, Alain n’était pas dupe. Il entrait volontiers dans mon jeu, conscient que le respect et la tendresse n’étaient jamais absents de nos conversations.
Pour commencer immanquablement, nous évoquions Melbourne, cette aventure insensée, où l’enfant d’Algérie s’était paré d’or sous une chaleur accablante, après plus de 42 kilomètres de souffrance.
Et puis nous devisons sur l’évolution du marathon. L’intrusion de l’argent honni et avec lui, la tentation et les dérives. Alain s’échauffait, dénonçant les cupides et les individualistes forcenés. Les enfants gâtés qui n’étaient pas montés au front pour défendre la patrie en danger.
Pour l’apaiser j’évoquais le combat des femmes pour obtenir le droit de vote, pour avoir la permission seulement de participer à un marathon. Le visage d’Alain s’éclairait. Il pensait certainement à sa fille prénommée Olympe qui était née la veille de son marathon victorieux en Australie.
Ne restait plus qu’à lui porter le coup de grâce. L’air de rien, je lui faisais remarquer que les femmes les plus performantes sur la distancepossédaient des records inférieurs au sien. Cette comparaison perfide le rendait fou. Il éructait. Cela n’avait rien à voir avec son marathon, le plus impitoyable de tous les temps. Un tel raccourci inique ne pouvait être le fait que de journalistes vendus et ignorants. Sa bouche était déformée par la colère mais yeux pétillaient de joie et d'intelligence. C’était un petit jeu entre amis sans conséquences qui précédait le temps de la réconciliation. Alain descendait à la cave et revenait hilare avec une bonne bouteille.
Nous avions depuis longtemps un projet en commun. Retourner à Melbourne en compagnie d' Emil Zatopek son vieux complice, son adversaire de toujours. Nous y avions finalement renoncés.La santé précaire de la locomotive tchèque, lui interdisait un si long périple.
En 2003 heureusement Nicolas Vinoy exauça une partiede ce rêve en accompagnant, Alain à Melbourne sur le théâtre de ses exploits. Mon confrère en ramena un reportage émouvant et drôle, cocktail subtile de réalités et de chimères.
Comme le mouchoir blanc posé sur le crâne d’Alain en souffrance dont il se débarrassa sur le parcours. La légende veut qu’une admiratrice australienne s’en empara et le conserva toute sa vie comme une relique.
L’existence d’Alain Mimoun est un roman .Inutile de tenter de démêler le faux du vrai sous peine d’en perdre tout le sel. Pour ma part Je n’ai jamais cherché à vérifier auprès de lui, ce que la rumeur colportait volontiers. En 1992 Alain aurait été sollicitécomme dernier relayeur afin d’allumer la vasque olympique à Albertville. Il aurait refusé par fidélité envers le général de Gaulle, au prétexte que François Mitterrand présidait la cérémonie d’ouverture.
Alain à 92 ans est parti à la conquête de son ultime défi. Remporter le marathon des étoiles. De glorieux marathoniens l’attendent là-haut de pied ferme. Emil Zatopek vainqueur à Helsinki en 1952 évidemment, mais aussi ses frères africains Abebe Bikila (Rome 60 et Tokyo 64)Mamo Wolde (Mexico 68) et Samuel Wanjiru (Pékin 08).
Cette fois, je ne suis pas certain qu’Alain s’imposera à l’arrivée mais une chose certaine, il aura toujours le dernier mot.
Celui d’un homme d’exception qui a su mettre ses idées en conformité avec ses actes.
.