Le cinéma et le sport font rarement bon ménage. Difficile de capturer l’émotion, illusoire d’espérer emprisonner le direct dans des bobines- conserve pour en restituer ultérieurement sa saveur intacte.
Les grandes réussites de cette alliance contre nature se comptent, dans l’histoire du cinéma, sur les deux doigts de la main. La boxe concentre à elle seule les trois-quarts de ces joyaux. Laurent Tuel dont la Grande Boucle est à l’affiche ce mercredi a tenté de contourner l’obstacle en proposant à Clovis Cornillac qui tient le rôle principal du film, le personnage de Monsieur tout le monde.
L’idée est séduisante. Qui n’a jamais rêvé d’enfourcher sa bicyclette et d’imiter un jour les coureurs du Tour de France, ce feuilleton estival dont la dramaturgie a bercé leurs rêveries adolescentes ?
A l’arrivée, on assiste à une comédie familiale anabolisée aux bons sentiments tournée avec la bénédiction d’ASO, l’organisateur du Tour.
La Grande Boucle de l’optimisme précède opportunément la célébration du centenaire d’une épreuve à la réputation singulièrement ternie ces dernières années.
Les affres du cyclisme professionnel sont ici mises entre parenthèse. Un peloton de gentlemen finira même par accueillir l’amateur éclairé en son sein pour une ultime parade fraternelle sur les Champs-Elysées. Les afficionados de la petite reine trouveront certainement dans cette fable des raisons d’espérer en un vélo propre et une humanité meilleure.
Pour ma part je retiendrai particulièrement la performance de Clovis, plus coursier que nature. La question de la crédibilité d’un acteur dans ce type d’allégorie cinématographique est primordiale.
Cornillac a d’abord bénéficié de deux mois de préparation physique intensive à raison de cinq séances hebdomadaires. Jonathan Tryoen, entraîneur de triathlon, lui a en outre inculqué les techniques vélocipédiques de base. Passer les bons rapports de vitesse, s’accoutumer aux pédales automatiques, apprendre à se mettre en danseuse.
Quatre mois au total d’instruction pour permettre à Clovis qui fréquentait essentiellement les salles de gym, à encaisser des sorties quotidiennes sur l’asphalte d’une centaine de kilomètres.
» Ce que j’ai fait, affirme-t-il, tout le monde peut le faire. C’est un rendez-vous avec soi-même. Quand l’impossible devient possible. »
Le challenge du coach consistait à ne pas écœurer prématurément son élève, à le recharger correctement en énergie, à lui enseigner la gestion des allures. (Ne jamais dépasser 85% de la Vitesse Maximale Aérobie qui correspond à la consommation maximale d’oxygène chez un individu.)
A Jonathan la gestion des instruments de navigation, à Clovis le ressenti de sensations inconnues.
» Entre Carpentras et le bas du Ventoux, j’ai senti monter le trac qui étreint l’acteur de théâtre avant son entrée en scène. Si tu respectes les paliers, que tu t’alimentes régulièrement, ton cerveau transcende ton corps et offre à tes yeux des paysages sublimes en cadeau. Une fois l’ascension terminée, entre Malaucène et Carpentras, j’éprouvais des sensations inouïes. J’avais des jambes de feu. J’étais devenu indestructible. »
Pour rejoindre le peloton des coursiers ordinaires, Clovis a perdu 7 kilos, s’astreignant à un régime alimentaire drastique. Suppression totale des apports glucidiques en dehors des périodes d’effort, du petit déjeuner et d’une fenêtre étroite dans la demi-heure qui suit l’arrivée.
Jonathan reconnait qu’il a eu le privilège de coacher un élève modèle, studieux et appliqué.
» 90% des gens auraient voulu à sa place faire la course comme ils la vivent à la télé. La meilleure manière de ne jamais franchir la ligne d’arrivée. »
« Chacun à son rythme, renchérit Cornillac, est capable d’accomplir de grandes choses. La pratique du vélo s’apparente alors à de la poésie pure. En compétition en revanche, ce n’est plus drôle du tout. Il faut être un surhomme. Les pros me font une impression étrange. Ils n’ont pas à proprement parler une ossature d’athlètes. Wiggins, Froome, ce sont des double-mètres de quinze grammes équipés d’un moteur de Ferrari. Tu les croises dans le hall de l’hôtel, tu as peur de les casser. Sur le vélo, ils deviennent des machines de guerre. Au bout d’un moment ils font tellement corps avec leur machine qu’ils ressemblent à leur vélo. »