Le petit monde qui gravite autour du cyclisme me désespère. Cette discipline si noble au demeurant, cristallise à elle seule toutes les dérives du sport professionnel de haut niveau.
Jeune journaliste, j’ai couvert pour feu Antenne 2 le tour de France à 5 reprises en qualité de reporter. A l’époque tous les suiveurs goguenards commentaient off les performances du jour autour d’un bon gueuleton le soir après l’étape. » Ah celui là évidemment quelle chaudière ! » La loi du silence était de mise. Tous les journalistes spécialisés savaient mais se gardaient bien de témoigner. C’était leur façon à eux d’être adoubé par le milieu pro, de mériter d’appartenir au peloton de suiveurs.
Le public en famille s’enflammait sur le bord des routes. Les premiers de la classe voltigeaient dans les cols. Les chronos défiaient le bon sens. La myopie était de mise. Je ne dérogeais pas à la règle. C’était une époque où les amphétamines étaient reines. Après une carrière bien remplie, les coursiers pouvaient espérer encore voir grandir leurs petits enfants. Puis vint le temps des escalades. L’avènement des anabolisants, de l’EPO et des autotransfusions. La bataille faisait rage, forcément inégale entre les voleurs conscients des enjeux économiques colossaux (Le vélo est avec la voile le seul sport qui offre une visibilité totale à la marque) et les gendarmes désargentés et peu réactifs. L’espérance de vie du coursier moyen déclina sans doute même s’il est impossible de le prouver scientifiquement. Puis fort heureusement, la police et les douanes s’en mêlèrent et des langues peu à peu se délièrent. Le pouvoir politique prenait la mesure du fléau.
Le dopage organisé représentait un réel problème de santé publique qu’il convenait de circonscrire. Mais le décalage entre réaction et culture est tel que la bataille est encore loin d’être gagnée. Les credo ont la vie dure. Le tour qui cherche désespérément des maillots jaunes irréprochables se contente pour l’heure de célébrer avec bonheur les paysages et le patrimoine. Les routes de France vues d’hélicoptère. Une promenade bucolique à plus de 40 kmheure de moyenne. Stade 2 proposait ce dimanche une enquête implacable réalisée par Nicolas Geay et Christophe Vignal. Floyd Landis tunique jaune déchue, révélait ce que beaucoup pressentaient déjà. La banalisation effrayante du dopage à l’abri des vitres fumées des autocars modernes. » Ca ne prend pas très longtemps …Une transfusion prend 15 minutes à peu près…C’était la routine » Bien sûr certains diront qu’on ne peut accorder de crédit au témoignage d’un menteur, fut-il repenti. D’autres voix s’élèveront pour demander qu’on ne s’acharne plus sur un cyclisme déjà si contrôlé, que l’on déplace le curseur vers d’autres disciplines épargnées par la suspicion. Les plus accrocs enfin supplieront qu’on ne casse pas leur rêve de juillet. Tous ces soubresauts me semblent vains
Peu importent après tout les motivations secrètes de Landis. Son témoignage aussi sujet à caution soit-il n’est pas à prendre à la légère. Par sa seule existence il montre que les mentalités évoluent peu à peu. Et tant pis si cette révolution lente s’avère douloureuse. Landis charge Armstrong, icône de la lutte contre le cancer, sept fois vainqueur du tour. La justice américaine qui ne condamne pas le dopage mais la parjure décidera de la suite à donner à l’affaire. On ne badine pas là bas avec le mensonge. Marion Jones l’égérie du sprint, jetée en prison pour des faits similaires pourrait en témoigner. Reste à mon sens l’essentiel. L’exemplarité du reportage. Le poids du témoignage pour les jeunes générations en mal de héros. En 12 minutes rondement ficelées, Nicolas et Christophe ont parfaitement mis à nu le mécanisme de la triche. Il n’y a pas dans le sport comme ailleurs de fatalité, ni d’exclusive. Le journaliste peut à la fois être fier d’appartenir au groupe qui diffuse le Tour et lui permet en même temps d’enquêter sur les dérives qu’indirectement l’épreuve phare génère.