J’ai assisté au Tour de France comme beaucoup d’amoureux de la petite reine, confortablement installé devant mon poste de télévision et cette distanciation inhabituelle m’a permis de me replonger dans mon enfance. De retrouver la saveur de mes lectures adolescentes.
Georges Orwell n’aurait sans doute pas dédaigné la cuvée 2013, digne de son best sellers, 1984.
Exit Bradley Wiggins, le pistard à rouflaquettes reconverti en grimeur émérite. Personnage échappé d’un roman de Charles Dickens. Fantasque, teigneux, imprévisible.
Place à Christopher Froome, plus civil, plus malléable. Un garçon confondant degentillesse et d’humilité. L’archétype même du citoyen du futur, imaginé par Orwell, petit soldat soumis à l’autorité d’un Big Brother invisible et omnipotent . Ici pas de haut parleur mais une oreillette vissée à l’oreille. Que la route soit plate ou pentue, que le peloton musarde (rare) ou accélère, Christopher reste toujours à l’écoute, disponible et obéissant, que son cœur batte à 100 ou 180 pulsations par minute.
Pas besoin de connaître en détail la teneur des conversations. Le scénario de la course, immuable, épouse les volontés du Sky Big Brother, l’employeur de Froome. Il aura fallu attendre l’ascension des premiers cols pyrénéens pour comprendre que les autres équipes n’auraient pas le droit au chapitre.
Froome sous l’injonction de forces invisibles s’est détaché irrésistiblement, vissé sur sa selle et aucun coureur, pas même parmi les grimpeurs les plus aguerris n’a pu répondre à ce démarrage foudroyant. La même histoire s’est répétée ensuite à l’occasion des contre la montre et de l’ascension du Mont Ventoux sans que personne dans le peloton ne puisse s’opposer à cette puissance effarante.
Eole, seul, aura eu raison de la stratégie mise en place par les Sky. Piégé par une bordure le maître concèdera une petite minute à Contador son challenger désigné en attendant le moment opportun pour le remettre à sa place.
Forcément les langues se sont déliées, la suspicion a grandi comme toujours lors d’une domination aussi implacable. Plus que la performance en elle même, c'est l’image renvoyée par Froome qui a intrigué.
Une morphologie atypique (1m86 pour 68 kg) d’une maigreur extrême capable de développer une puissance insoupçonnée. L’attitude en course aussi. Pendant l’effort, la tête aspirée par le bitume, le cou un peu tordu. L’air de ne plus en pouvoir et soudain la rage qui le tient et le transporte jusqu’aux sommets. Et ces conversations privées qui accaparent champion et parasitent sa relation aux spectateurs massés sur le bord des routes.
Le sentiment surtout qu’il aurait pu, si Big Brother le lui avait ordonné, tout rafler. Le résultat à l’en croire d’un travail acharné, d’un environnement d’un professionnalisme rare au fait de toutes les avancées technologiques.
Nulle addiction au dopage. Pas de raison d’en douter puisque de toute sa carrière, Froome n’a jamais subi le moindre contrôle positif.
Mais tout de même Sky en troisième semaine a du reconsidérer sa stratégie de conquête. Big Brother a accepté de distribuer quelques miettes. Froome a été contraint dans les Alpes d’en garder sous la pédale , permettant ainsi à Riblon et à Quintana de s’offrir des victoires de prestige. Seul Contador a été sévèrement puni pour sa témérité. Ejecté sans ménagement du podium.
Bernard Hinault a beau dans le Figaro se réjouir de ce scénario et affirmer que la course n’a jamais été figée dans des schémas étriqués, tout porte à croire le contraire.
Le seul qui aurait pu gêner Froome s’appelle Richie Porte et Big Brother l’a utilisé cette année comme une luxueuse roue de secours. Comme l’année passée, lorsque Froome patientait dans l'ombre de Wiggins.
Dans son blog très documenté Guillaume Prebois, spécialiste reconnu du cyclisme, évoque une nouvelle molécule aux vertus révolutionnaires.
"Lundi 15 juillet, un tweet du coureur suisse repenti Thomas Frei (ex-BMC) a eu l'effet d'un pavé dans une mare: "Eh, les gars, vous connaissez le GAS6 - Growth Arrest - Specific 6?". Dans la foulée, un internaute lançait que cette molécule avait été utilisée avec succès sur le Giro 2013. Puis une rumeur, largement relayée, annonçait que Geert Leinders, le médecin "licencié" par SKY l'an dernier (en raison de ses implications dans le réseau de dopage Rabobank), avait travaillé en personne sur le développement du GAS6 à l'université de Louvain. Il n'en fallait pas davantage pour que ce produit, jusqu'alors totalement inconnu de l'antidopage, soit la star du jour."
Ce ne sont que des hypothèses évidemment. Mais lorsque Froome affirme qu’il est propre peut être faut-il accoler à son assertion ce que recouvre exactement le mot dopage.
Le dopage est la pratique consistant à absorber des substances ou à utiliser des actes médicaux définis par des organismes ad hoc afin d'augmenter ses capacités physiques ou mentales.
Quid alors des produits ingérés qui ne sont pas encore répertoriés ?