Le couac retentissant du relais 4x4 nages en séries ce matin prouve que rien n'est jamais acquis. Qu'il faut en toutes circonstances dans le domaine du sport comme dans les autres savoir faire preuve de constance et d'humilité. Pour deux malheureux centièmes de secondes , nous ne verrons donc pas à l'oeuvre le quatuor. Lacourt-Dubosq-Bousquet-Meynard qui logiquement pouvait viser une nouvelle médaille. ( La 11ème en anticipant celle promise à Lacourt sur 50 mètres dos.) Un avertissement salutaire à un an tout juste des JO de Londres. Une année à passer sans verser dans l'apparat et la facilité. Pas si évident tant en natation qu'en urbanisme.
Ce n'est pourtant qu'à cette seule condition que la natation deviendra le principal pourvoyeur de breloques olympiques pour la France.
La vieille ville de Shanghai est minée par le toc. Depuis les années 90, la rénovation s’accélère sans pitié pour le temps écoulé. Les chinois ne s’embarrassent guère d’histoire et de nostalgie. L’important pour eux, reste la transmission d’un savoir faire. Pour ce qui est du patrimoine proprement dit, il ne présente pas d’intérêt réel, puisque s’il le faut on pourra toujours rebâtir une réplique ailleurs, au moment opportun.
Voilà pourquoi ils ont préféré raser le vieux centre historique plutôt que de le rénover dans les règles de l’art et à la place reconstruire autour du vénérable jardin Yu dans un style architectural sans justification véritable avec le passé, un lieu de divertissement et de promenade.
Le résultat est tel que l’on s’attend à chaque instant à voir surgir des Mickey chinois. Une enfilade de bâtisses tarabiscotées abritent des boutiques de souvenirs. Un conteur déguisé en mandarin pour 5 yuans propose une succession de tableaux censée captiver jeunes et moins jeunes. Une fois leur dîme acquittée, les clients collent leur visage contre un hublot pour assister à une séance de 3 minutes. Sur le premier tableau, un chérubin perché dans un arbre urine sur la tête d’un vieux pêcheur. Le ton est donné dans ce décor en carton pâte où la foule se presse en cette matinée dominicale.
Près d’un étang artificiel qui regorge de poissons rouges, les shanghaiens en famille prennent la pose. L’activité culturelle est assez pauvre dans l’ensemble et rien ne remplace, lorsque le soleil brille haut dans le ciel, une promenade récréative.
Les lilongs alentours (Habitations traditionnelles chinoises) sont condamnées comme les murailles qui ceinturaient la ville vieille, rasées en 1912. Le jardin Yu, un petit bijou dessiné au 16 ème siècle, qui symbolise un monde en miniature et invite à la contemplation et à la méditation sera heureusement épargné. Tout comme le temple de Confucius devant lequel les fidèles viennent se prosterner. ‘Arbre renversé par le vent avait plus de branches que de racines.’
Plus loin à l’est à la périphérie de la ville, la population vit encore comme au moyen âge. Le contraste est saisissant dans ce quartier ouvrier inondé par un soleil printanier. Les usines toutes proches font relâche. La rue centrale est accaparée par un marché aux étals chatoyants qui constitue l’attraction unique d’un dimanche après midi.
Un ragoût, couleur orangée, dans lequel flottent des sortes de quenelles géantes, mijote dans une grande marmite en fonte. Un poissonnier tronçonne les poissons à chair rouge vif, qu’il expose encore vivants dans des bassines en plastique pour attester de leur fraîcheur. Le volailler propose des pigeons gris, des canards et des tortues. Une vendeuse d’algues s’est assoupie, assise sur son pliant, les bras croisés, la tête renversée contre un mur grisâtre. Des femmes tricotent, d’autres étendent leur linge en pleine rue, sur des fils accrochés à des pylones où s’entremêlent un fatras de câbles électriques. La population contrainte de se loger dans un espace étriqué s’accapare la rue. Les vieux déambulent en pyjama promenés par la famille ou les voisins.
Dans les ruelles adjacentes qui sont si étroites que deux portes d’entrées en vis-à-vis, entrouvertes en même temps interdisent tout passage, toute contagion de l’extérieur. Les lilongs paressent, insensibles à la marche du temps, toujours orientés au sud plus clément. Les cuisines sont rejetées à l’arrière au nord, en plein air, pour rogner un espace supplémentaire sur la rue. A l’intérieur des maisons, dans la pièce commune à toutes les familles d’un même immeuble, les plus oisifs jouent au mah-jong.
Un homme passe devant nous en maugréant dans sa barbe. » Bah pourquoi donc s’intéresser à tous ces gens ? Ce ne sont que des étrangers, des pauvres ! » L’étranger est celui qui originaire d’une province plus déshéritée, vient tenter sa chance à Shanghai. L’histoire se répète sous toutes les latitudes. Le pauvre diable envie le nanti et méprise celui qui à le malheur d’être plus démuni que lui.
C’est cet homme peut être qui nous dénonce à la police. Un homme en civil entouré de deux fonctionnaires en uniforme vient vérifier nos identités. Il nous explique d’un air sévère qu’on n’aborde pas les gens comme cela sans une autorisation officielle. Depuis les jeux olympiques de 2008, une loi stipule pourtant le contraire, mais il est inutile d’ergoter. L’interrogatoire est de pure forme. L’homme disparait aussi vite qu’il était arrivé. Tout ce qui ne concerne pas de près ou de loin la révolution de jasmin ne constitue pas une réelle menace pour le régime en place.
Combien de temps encore les lilongs résisteront aux bulldozers du progrès ? Plutôt que de prôner leur réhabilitation et de préserver un peu de leur patrimoine millénaire, l’immense majorité des chinois n’aspire qu’à être relogé dans l’une de ces forêt de tours géantes qui défigure la ville. Tous veulent désormais bénéficier du confort moderne vanté par les publicités criardes, au risque d’y perdre leurs âmes et leurs repères. Les plus âgés décèdent le plus souvent d’ailleurs dans l’année qui suit leur déménagement. Quant aux autres, ils se replient petit à petit sur eux-mêmes, tournant le dos à ce qui a nourri toute leur jeunesse. La vie solidaire en collectivité.
Dans les restaurants en ville, il est impensable aujourd’hui encore de commander un plat individuellement. Les mets sont disposés au centre de la table et chacun se sert dans la marmite commune. Mais pour combien de temps encore ?
La nuit est tombée sur le Shanghai futuriste. Tandis que je contemple depuis ma chambre d’hôtel, l’invraisemblable bric-à-brac de buildings aux formes hétéroclites qui scintillent et transforment le fleuve en un « dance floor » géant, il me revient en mémoire ce proverbe chinois. ‘Ce qui était vrai hier, l'est encore aujourd'hui : mais ce qui est bien aujourd'hui, pourra ne pas l'être demain.’