Le sens de la demesure

« Hé les gars, ça vous embêterait de partir devant avec Patrick demain ? On a tracé le début de la spéciale sur Google Earth et je voudrais savoir si ça passe ou si on doit faire autre chose. Et puis comme ça on gagnera du temps ».

Pense-tu que ça nous enquiquine ! A sa demande, David Castera a reçu un oui enthousiaste. Nous partirons en éclaireurs dans l’étape 12 avec Michel, notre pilote, pour épauler Patrick Juillet et Pablo (l’argentin de l’équipe des recos). Pendant ce temps, Castera-Lavigne et Fontenay-Dubois en finiront avec la pénible étape Arica-Arequipa et le casse-tête des derniers kilomètres dédiés aux motos.

360 km de liaison plus tard, nous voici sur le bas-côté de la Panamericana, quelque part au nord de Chala. Le Pacifique est en contrebas, et lorsque nous nous retournons c’est une dune- montagne qui se dresse devant nous. Imaginez un massif de 10km de large, s’enfonçant de 20km vers les contreforts de la cordillère des Andes. Nous avons les roues au niveau de la mer, le tas de sable culmine à…1200mètres ! Imposant me semble l’adjectif le plus adapté.

La « mission » que nous avons acceptée consiste à suivre la ligne tracée grossièrement à partir de Google Earth sur notre gps. Un grand cercle à décrire au cœur du géant de sable avant de filer vers Nazca à 250km au nord-ouest.

C’est, si l’on peut dire, le sommet de ce cercle sur la carte qui pose question à Castera. Il ne sait pas si la cohorte du Dakar pourra monter vers le massif. Nous devons donc rouler dans le sens inverse de la spéciale, grimper les dunes à l’envers et redescendre à l’opposé, afin de vérifier que les concurrents pourront monter ce que nous avons descendu… Vous suivez toujours ? Peu importe. Nous partons à l’abordage. La montée par ce versant est déjà infernale. Sable porteur, puis soudain très mou. Pentes d’une raideur aux limites du faisable. Bref, de gros efforts pour les mécaniques qui tiennent finalement et nous amènent au cœur de cet étrange cratère de sable à 1000m d’altitude, proposant une aire de jeu de 5km de diamètre.

Patrick s’essaye à escalader une de ses parois faite de dunes cassées…Peine perdue. Pourtant, le franc-comtois est très, très doué sur le sable. Après réflexion, échange de point de vue à l’examen du track, nous trouvons la solution en passant un peu plus à l’ouest. La grimpette est rude et les moteurs chauffent, aux limites du surrégime, en vitesses courtes. On a l’impression d’entendre les mécaniques essoufflées au sommet. Ce que nous venons d’escalader, les concurrents pourront donc le descendre. Vous suivez toujours ? Peu importe. Car la démesure arrive, à la fois prévisible et surprenante. Que la suite (notre descente sur flanc de la montagne) soit difficile à réussir en sens inverse était probable, qu’elle soit rigoureusement impossible nous a totalement surpris.

Comment imaginer des toboggans de sable aussi pentus que la face de Bellevarde ou que le début de Kitzbuhel ?

Allez vous balader au sud de Jaqui, minuscule pueblo péruvien ; et vous verrez cette inimaginable splendeur est une réalité. Nous avons descendu cette réalité. Pentes vertigineuses, négociées sur des œufs, en regardant de mini avalanches de sable se former devant nos roues. Puis, plus bas, un champ de pierre incliné, en dévers, a bien failli pièger Patrick qui se faisait un devoir de nous ouvrir cette drôle de voie. Coincé dans un lit de torrent asséché et sournoisement étroit. Deux roues qui tournent dans le vide, les ponts aux limites de se croiser ; la catastrophe évitée de justesse, quoi. Un coup de sangle + une heure de jardinage plus tard nous étions de retour à notre-premier depuis le début des recos- hotel.

Le sourire de David Castera a apaisé notre déception de n’avoir pas de trouvé de solution pour vaincre le géant de sable.

« Vous inquiétez pas, j’ai un plan B, les gars. N’empêche, ça m’aurait bien plu qu’on puisse passer là ».

Nous y sommes passés. Et c’est une vraie petite fierté que de l’avoir fait, même pour rien.

Pendant ce temps,  400km derrière nous, l’autre équipe bâtissait un pont éphémère au dessus d’un fossé pour que les motos puissent aller au bout de leur spéciale.

Croyez-nous, mesdames-messieurs les concurrents, on s’en donne du mal pour vous…

Publié par Jean-Francois Kerckaert / Catégories : Dakar 2012