Le salaire de la peur

Nous prenons le départ depuis le km 98 de la spéciale Nasca-Arequipa. Il est 6 heures du matin. Il a plu cette nuit ! Très finement, certes, mais entendre tomber les gouttes sur les toits de nos tentes est plus que déroutant dans un lieu aussi aride.

 Le début de la journée n’est constitué que pistes caillouteuses. Pas le moindre bout de ligne droite, nous ne faisons que tourner, escalader de petits cols et les redescendre. Trajet chaotique et cahotant jusqu’à trouver sous nos roues « El camino a el cielo », le chemin vers le ciel, montée interminable qui nous hisse jusque 2160 mètres d’altitude. De ce plateau merveilleux, évidemment, il faut replonger vers les vallées.

La vieille piste minière qui nous y emmène aurait eu toute sa place dans le « Salaire de la peur » d’Henri-Georges Clouzot. A se demander comment vont faire les Kamaz et autres Iveco pour arriver en bas. « Si, si, ça passe, me confirme Patrick, qui fait l’ouverture en camion en janvier. Ca passe tout doux, mais ça passe. » N’empêche. Il va falloir bien viser sur ce pierrier géant pas plus large que les essieux, qui vous menace sans cesse de faire le plongeon dans un ravin profond de 500 mètres… Je me prends à imaginer la vie des types qui charriaient des tonnes de cuivre extraites des mines alentour.

En bas, un peu de verdure, premiers cactus. Nous sommes dans des rios asséchés. Le chemin est toujours aussi tortueux et bigrement cabossé. Et rien ne s’arrange car  c’est un long plateau qui nous attend. Tellement ondulé qu’on a l’impression de faire Paris-Roubaix à bicyclette.

Tout en bas, avant de croiser la Panaméricaine, des dunes comme égarées dans ce monde minéral nous offrent leur dos pour plonger à nouveau dans un rio.

Traversée de la Panam’ et… la mer ! Longer le Pacifique ne présente pas de difficultés majeures en termes de pilotage, alors nous nous régalons du spectacle des vagues, de la lumière et du vol de milliers d’oiseaux devant nous. A regrets, nous repartons vers les zones désertiques qui surplombent l’océan. Les longues vagues sont vite remplacées par d’autres beautés : celle d’une onde de sables pâles, ocres et or qui nous accueillent et la fin de l’étape. On a changé de houle en quelque sorte. Nous naviguons au cap sur de somptueuses ondulations dunaires qui nous servent d’ascenseur jusque 1500m, avant de nous redéposer au bord de la Panaméricaine.

Les quatre voitures sont à l’arrêt. A bord, il y a comme une ivresse qui vous empêche de descendre instantanément. Et puis on sent que quelque chose se passe dans la voiture d’Etienne Lavigne et David Castera. L’immobilité se prolonge alors que nous devrions repartir à l’assaut d’un dernier erg, prévu sur le « track » établi depuis mars.

« Jacky, on arrête le road-book ici » annonce faite à la radio de la voix de Castera. Régis et moi sautons de la voiture pour interviewer Etienne. Ses explications sont cohérentes : « Ce n’est plus la peine de garder cette difficulté. On a beaucoup discuté avec David et nous sommes d’accord. L’étape est déjà bien longue, dure dès le début et sans vraiment temps de récupération jusqu’ici. Ce n’est pas raisonnable d’en demander plus aux concurrents au 4ème jour du rallye. »

Sur la route de Camana, ma frustration de n’avoir pas tâté de ces dunes annoncées terribles s’estompe à mesure que je me projette les images de ces deux jours passés à faire l’étape Nasca-Arequipa. 280km absolument magnifiques et si rudes à la fois.

20h. Nous dormons à l’hôtel. Pour la première fois depuis 5 jours.