En voyant le (déjà ancien) maillot jaune Fabio Cancellara souffrir le martyr après sa chute, j’ai pensé à ces instants dramatiques qui ont plus d’une fois frappé les leaders du Tour de France. Je me souviens de cette annonce vécue en direct en juillet 1971. 4 mots secs lâchés en rafale et répétés par le commentateur comme pour s’en convaincre : « Chute du maillot jaune ! » Il pouvait se passer des événements autrement plus graves sur la planète, rien ne rivalisait avec cette nouvelle concise, explosive, sidérante. Le maillot jaune était tombé. Et pire, il n’allait pas se relever. Luis Ocana avait glissé dans un virage, en pleine descente du col de Mente, sous une pluie d’orage. Il allait remonter en selle quand Zoetemelk le percuta de plein fouet. Cage thoracique enfoncée, côtes brisées, espoirs envolés. S’il s’envola justement, le malheureux Ocana, ce fut à bord d’un hélicoptère qui le conduisit à l’hôpital, son maillot troué et boueux sur le dos, son habit de lumière en haillons. Ce Tour qu’il pouvait gagner, cette victoire sur Merckx qu’il convoitait tant, tout cela lui échappa. Quand le fier hidalgo remporta enfin l’épreuve en 1973, le roi Eddy n’avait pas pris le départ.
Depuis 1919 que le Tour distingue son leader en lui décernant un maillot jaune, 14 coureurs ont dû l’abandonner en quittant la course. Parfois pour tricherie, comme Michel Pollentier en 1978. Le plus souvent sur chute – le pyrénéen Victor Fontan à qui la Grande Boucle ne devait pas échapper en 1929, avant que son vélo ne se brise… En 1980, Bernard Hinault s’effaça discrètement à Pau, leader au genou d’argile. La pente fut longue à remonter. Il regagna cependant une dernière fois en 1985. Une date qui nous rappelle que depuis lors, trente piges au compteur, aucun français n’a pu garder le maillot jaune jusqu’au bout…