La Caravelle Anquetil

Le vélo est à l’évidence une machine à remonter le temps qui nous ramène vers les berges de l’enfance chaque fois qu’on l’enfourche. Suivre une étape du Tour procure la même sensation. On est à la fois maintenant et hier voire avant-hier. Un coureur d’aujourd’hui, par son allure, sa façon de pédaler, de rouler ou de se mettre en danseuse, nous rappelle d’autres champions du passé. Contador est un précipité de Bahamontes, Quintana nous ramène à Lucho Herrera. Il n’y a que Froome, avec son style bien à part, qui ne ressemble qu’à Froome…

Le vélo est aussi une machine à raccourcir le temps. Faire qu’une heure dure moins d’une heure, et une minute moins de soixante secondes. Le premier à nous avoir enseigné l’art de l’ellipse sur une bécane s’appelait Jacques Anquetil. L’écrivain cycliste Paul Fournel a résumé l’affaire à merveille avec cette fulgurante formule – ou formule 1 : "Anquetil pédalait blond". Maitre Jacques était le maître des horloges. Il tordait le temps à sa volonté, démontrant à chaque épreuve de vérité qu’il n‘était en rien un être temporel. C’est Raymond Poulidor qui, en 1962, fut témoin de cette apparition quasi surnaturelle. Il l’a raconté avec ses mots à lui, en toute simplicité, avec sa modestie coutumière : "À trois jours de l’arrivée de mon premier Tour de France, il y a un contre-la-montre qui se termine à Lyon. Planckaert porte le maillot jaune. Anquetil est deuxième, moi troisième. Jacques me rejoint à 20 kilomètres de l’arrivée. Là, mon directeur sportif Antonin Magne me klaxonne : "Garez-vous Raymond, admirez la caravelle qui passe.” Je l’ai regardé : il glissait sur la route." Une flamme qui n’en finit pas de briller dans l’histoire du cyclisme. Anquetil se voulait furtif. Il est éternel.

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