Le Tour avait si bien commencé que le cœur manque à vouloir à tout prix voir des ombres planer. Surtout après une journée tellement solaire où le maillot jaune Christopher Froome a brillé autant qu’il a frappé. Alors quoi ? Il faudrait bouder le spectacle, faire la fine bouche, en se fiant à ses seules impressions, au malaise que dégage une telle apparence de facilité ? Comme le petit Poucet ramassait ses petits cailloux blancs, j’ai les poches alourdies de petits cailloux noirs. Je me souviens du démarrage sidérant de Froome dans le Ventoux en 2013, et de l’écart qu’il avait brusquement creusé. Ce pédalage si caractéristique, une accélération intense où la route pentue semble soudain, comme par miracle, s’être aplanie, voilà qui semait au moins le trouble. Hier sur les pentes de la Pierre Saint Martin, c’est ce même trouble qui a ressurgi. Je ne doute pas que Froome soit un champion hors norme, comme l’ascension de ce 14 juillet était hors-catégorie. Pour autant, j’ai vu deux types de coureurs dans cette première étape pyrénéenne. Des cyclistes humains, terriens, je veux dire les roues collées au bitume, piochant, ralentissant, craquant. Bref, des champions souffrant et admirables de ténacité dans l’effort, j’ai cité Nibali, Contador, et bien sûr Quintana. Et j’ai vu un extra-terrestre emmenant son braquet si vite au plus fort de la montée qu’au moment d’écrire ces lignes, je me demande si je n’ai pas été victime d’une hallucination.