Les seuls coureurs à m’avoir fait rêver sont les grimpeurs. Est-ce d’avoir escaladé le Tourmalet l’année de mes 13 ans avec mon père. Est-ce d’avoir entendu ma grand-mère avouer qu’elle avait pleuré en voyant passer Fausto Coppi dans Peyresourde en 1952 ? Les champions ailés étaient couverts à mes yeux d’une aura singulière et inégalable. Ils tutoyaient les Dieux en se hissant vers les sommets à une vitesse sidérante (voire stupéfiante), empoignant le guidon par les cornes, alternant le style danseuse et les moments de force pure, assis sur la selle, rejetés en arrière sur leur machine, et surmontant une douleur qui les figeait dans un masque de pénitent ou de martyr. La souffrance qu’ils s’infligeaient me coupait le souffle et pourtant ils ne lâchaient pas prise face à l’obstacle souvent terrifiant, creusant les écarts et poursuivant ce qu’Antoine Blondin appelait leur « surhomme de chemin ». Parmi les plus célèbres, des champions que je n’ai pas vus de mes yeux, ou seulement sur les photos sépia de vieux Miroir du cyclisme : Vietto aérien, Robic en teigneux, et Bartali que l’écrivain Dino Buzzati compara aux héros de la mythologie Achille et Hector. Je pense encore à Federico Bahamontès et à Charly Gaul, dont les surnoms étaient des noms de guerrier, l’Aigle de Tolède, ou d’être surnaturel, l’Ange de la Montagne. Ce gotha des Golgotha du Tour se complète avec le petit Van Impe et le grand Pantani, faces lumineuse pour l’un, et obscure pour l’autre, de la même statue du grimpeur éternel.