Thomas Voeckler est un drôle de paroissien. Comme son saint patron il ne croit que ce qu’il voit et comme la ligne d’arrivée lui semble encore lointaine, il se refuse obstinément à imaginer la franchir en vainqueur.
L’actualité de Thomas, ce sont les pentes alpestres qu’il s’apprête à escalader à partir d’aujourd’hui et toute cette meute de journalistes qui depuis 10 jours s’accroche à ses basques. De son statut de chouchou de France en mal de héros, l’alsacien a progressivement dérivé vers celui de messie. Si un français sur deux présents devant son poste de télévision en ce mois de juillet pluvieux vote Tour de France, l’épopée de Voeckler y est évidemment pour beaucoup.
Daniel Bilalian, le patron de notre service, compare volontiers le maillot jaune français au personnage d’Astérix, ce petit bonhomme au caractère bien trempé qui a su résister aux troupes de Jules César (Lisez ici Contador) .
Sur ce point précis le coursier gaulois n’est pas dupe. » C’est tellement éphémère, toute cette agitation, ces caméras, c’est tellement commercial. » A –t-il confié à notre confrère du journal l’Equipe, Jean Luc Gatellier, dans une interview anti-langue de bois qui fait les délices de la profession.
Il est évident que l’image de marque d’un Tour, miné par les affaires de dopage, profite au maximum de cette aubaine. Le patrimoine français revisité à 40 à l’heure de moyenne ne pouvait suffire éternellement à assurer le fond de commerce d’une épreuve aussi prestigieuse.
ASO, les diffuseurs et les sponsors, rêvaient d’un scénario épique, d’un feuilleton cocorico, où les coureurs tricolores ne se contenteraient plus de se monter aux avants postes avant d’être absorbés par le peloton à quelques encablures de l’arrivée.
»Plus beau le Tour ! » La France cycliste en avait de puis si longtemps rêvé. Thomas l’a fait ! Chapeau !
Mais ce qui m’épate le plus chez Voeckler, c’est sa capacité dans ce climat passionnel, à conserver les idées claires. Au fil de la conversation, il distille quelques vérités qu’il me semble de bon aloi de relayer.
» Perdre le maillot, ne m’empêchera pas d’être tranquille en famille lundi prochain. »
« Armstrong est très fort en communication. En ce moment ce n’est pas bon de dire du mal de moi. »
Prendre la roue de Thomas au sommet de sa popularité peut offrir quelques opportunités intéressantes. On pense à la moue dépitée des responsables de Hertz ou d’Avis devant le hold up réalisé par Europcar pourtant novice dans le peloton. Ils sont aujourd’hui légion à vouloir se partager le capital sympathie amassé à la force du jarret par Thomas.
Voeckler réfute par avance toutes ces amitiés nouvelles. « Il y a très peu de grands coureurs que j’apprécie. Quand j’arrêterai, on ne partira pas en vacances ensemble. »
Pas question non plus de se laisser récupérer par ceux qui ont intérêt à minorer la présence des substances dopantes dans le peloton. (L’usage abusif des corticoïdes serait, paraît-il, à nouveau d’actualité.)
« Je ne suis pas le baromètre de la propreté dans le peloton. » Affirme t-il avec dignité.
Ce Voeckler là, inspiré et vindicatif me fait penser au Laurent Fignon de la grande époque. Celui qui détonnait tant dans le milieu. Libre dans sa tête. Rien que pour cela et quelque soit finalement la place obtenue par Voeckler au classement général sur les Champs Elysées, qu’il en soit chaleureusement remercié !