Je n’étais pas encore né à la libération de Paris. Mais de ce que mes parents m’en ont raconté, j’imagine qu’il y régnait la même atmosphère de liesse qu’hier sur les Champs Elysées. La comparaison, j’en ai conscience peur paraître pour le moins hardie, pour tous ceux qui contrairement à notre génération ont connu le grand malheur des temps de guerre.
Hier en fin d’après midi, en privilégié, mon accréditation autour du cou, je contemplais le long des balustrades, la France de juillet reconnaissante qui accueillait ses héros, en cuissards et combinaisons moulantes.
Cette 98 ème édition revigorante sonnait –elle le début d’une ère nouvelle pour le sport cycliste ? Au plan de l’éthique, c’est loin d’être gagné compte tenu des intérêts financiers en jeu et de la marche du temps. L’heure n’est pas à la morale mais à l’efficience. Il suffisait pour s’en persuader d’apprécier au ras du sol au déboulé de Cavendish propulsé comme une balle sur la ligne d’arrivée.
Pourtant dans ce scénario épatant, on a pu lire quelques signes pour le moins encourageants. Des leaders qui craquent, puis contrattaquent et craquent encore pour terminer l’étape, exsangues, comme s’ils étaient redevenus subitement fragiles. Des français trop longtemps exclus du partage qui s’invitent à la table d’honneur de ce festin de roi plutôt que de se contenter des miettes en cuisine. Oublié aussi le train bleu infernal qui imposait son tempo d’enfer au peloton jusqu’au bas des cols, emmené par des guerriers mécaniques au masque impassible.
Ce dimanche massé sur la plus belle avenue du monde, la France de juillet exultait tout à son bonheur de redécouvrir des hommes qui lui ressemble. Des champions populaires, au sens premier du terme, avec une histoire, un caractère, des sentiments. Des faiblesses et des émotions. Des coursiers un peu timides descendus de leur vélo qui défilaient au bras de leur fiancée, plutôt coiffeuse que top modèle.
La force d’un sport tient presque toute entière dans la personnalité de ceux qui le dominent. Et sur ce point précis, le cyclisme a su brillamment reconquérir les cœurs encore humides par les pluies de juillet.
J’étais installé à la table de Stade 2 aux côtés de Cadel Evans et de Thor Hushovd. Les jambes au repos, le cerveau tournait à plein régime. Cadel, le défenseur de la cause tibétaine, savourait modestement son rand bonheur. Nulle exubérance, nulle démonstration de force. Juste l’intense satisfaction du travail bien fait. Thor lui relativisait ses performances au regard de la tragédie qui venait de frapper son peuple.
Ces deux là comme Thomas, Pierre et tous les autres, descendus de leur piédestal, se conduisaient sans affectation comme des hommes responsables et finalement ordinaires, ce qui les rendaient du coup irrésistibles.