L'empreinte du champion

Tandis que l'épatant public de Dunkerque réservait une formidable ovation à Alain Bernard qui venait d'en terminer avec ses championnats de France en prenant la 5 ème place du 50 mètres nage libre, je me demandai ce qui caractérisait le champion d'exception et le différenciait de tous les autres.

Alain qui avait du toute la semaine remiser ses rêves olympiques, les yeux rougis par les larmes,  s'empara gauchement d'un micro pour remercier le public de toute cette gratitude affichée. Il ne bombait plus le torse, dans l'atmosphère arrogante d'un sprint,  comme sur le plot de départ d'un cent mètres. Il n'était plus qu'un homme simple et  reconnaissant, parvenu au bout d'un chemin, décidé dignement à faire face à la petite mort, celle promise à tous les athlètes en fin de carrière. 

Bernard aurait préféré bien sûr ajourner ce rendez-vous, quitte à bénéficier d'un passe-droit,  mais le chronomètre inflexible et les lois de la DTN le poussaient vers la sortie. Ce qui me frappa alors dans son attitude, passée la légitime déception, c'est l'extraordinaire humilité qui se dégageait du personnage.

Alain Bernard étrennait avec noblesse son statut de pré-retraité des bassins.  Pas un instant l'amertume n'affleura dans son discours. Juste le sentiment d'avoir été privilégié, d'avoir bien travaillé et d'en avoir été récompensé au delà de toutes ses espérances.

Avant de quitter la piscine, Bernard étreignit sa compagne Coralie qui partageait sa peine puis s'en alla réconforter son adversaire de toujours Frédéric Bousquet qui à l'écart de toute l'agitation demeurait inconsolable.

Bousquet privé de jeux olympiques, condamné à la retraite, n'eut même pas la consolation d'être associé à l'ovation qui enflait des tribunes.

Il restait prostré sur sa chaise, dévasté. "J'ai envie de crever."  Tels avaient été ses premières paroles après la course.  Alain Bernard agenouillé devant lui, entoura  le compagnon de Laure Manaudou de ses bras et lui murmura quelques mots de réconfort à l'oreille. Il n'était plus question de clan de Marseille ou d'Antibes, ni de fratrie.

Juste d'un instant rare d'affection réciproque entre deux champions exemplaires  dont l'humilité mettait entre parenthèse tous les egos de leurs collègues ordinaires.

Publié par pmontel / Catégories : Natation