Happy Hours ? Mon oeil !

Juste devant chez moi. Un homme face contre terre. A genoux. Son chien tenu de sa main tendue au bout d’une laisse rouge. L’animal observe le défilé des passants sur cette rue large des quartiers bourgeois de Paris. Il patiente la tête haute,  n’implore personne du regard. C’est un chien brun au port altier pour qui le temps n’a pas vraiment d’importance. Il attend que son maître enfin se relève.

Une femme inquiète s’approche, se penche vers l’homme puis  recule brusquement d’un pas et poursuit son chemin. Intrigué par cette volte face, je  reste accroché à mon balcon du premier étage comme un passager du métro fasciné par les faits divers.

 Des gamins garent leurs scooters. A leur tour ils se dirigent vers l’homme, intrigués. Le chien  leur fait la fête, debout sur ses pattes arrière. Il pose ses deux grosses paluches sur les épaules du plus grand des gamins . Comme si par cette démonstration d’affection, il tenait à le remercier par avance de l'attention qu'ils portaient à son infortuné compagnon. Les gamins entourent l’homme toujours prostré et renoncent à leur tour.

L’homme est ivre mort. Les minutes s'écoulent, interminables.  Il rassemble enfin  toute son énergie pour se relever . Il réussit à faire deux pas avant que ses jambes ne se dérobent une fois de plus. Seule sa main droite semble encore pouvoir assumer ses devoirs. Serrer la laisse rouge. Empêcher  que son chien ne se décide à se débarrasser de cet importun fardeau au risque de mourir écrasé.

Un homme à la fin arrive. Il hoche la tête, consterné. C’est un familier. Il aide l’homme à se relever, lui hurle  des mots coupants à l’oreille comme si l'autre demeurait sourd à tous ses conseils. » Je ne vais tout de même pas te porter sur mon dos jusqu'à chez toi ! »

Je suis du regard claudiquer ce curieux attelage. Les deux hommes collés l’un à l’autre, le chien à bonne distance, comme s’il tenait à exprimer des réserves sur l’indignité de la scène.

 L’homme naguère à terre ne doit pas avoir plus de 45 ans. Il porte bien le costume et la cravate.

A deux pas de chez moi, sévissent les cafés terrasses. De 17 à 20 heures  fleurissent les « Happy Hours ». Sur une ardoise à l’entrée,  ses mots sont inscrits à la craie. «  Toutes les pintes, tous les cocktails sont à 5 euros. Pendant les Happy Hours, l’établissement ne sert pas de boissons chaudes. » Il n’est pas précisé le tarif des jus de fruits ou des sodas.

Qui en dehors des chiens ou des gérants de débits de boisson peuvent réellement se satisfaire d’une telle dérive ?

Publié par pmontel / Catégories : Hommage