A la table du Stade 2 originel, il y avait toujours une chaise inoccupée. Celle réservée au téléspectateur expliquait le père fondateur de l’émission, Robert Chapatte.
Aujourd’hui la table est désertée, comme un lendemain de fête, orpheline de tous les pionniers qui m’ont transmis gamin, leur passion irraisonnée pour les commentaires sportifs.
Roger Couderc, Robert Chapatte, Bernard Père, Jean Mamère, Patrick Knaff et maintenant Thierry Roland.
La disparition brutale de Thierry me touche plus profondément encore parce que son aura cathodique a impacté directement mon adolescence. Les instants décisifs durant lesquels se façonne une destinée. Comme je n’avais aucun talent particulier pour fouler les pelouses, j’ai pris tout naturellement de la hauteur en tribune. De presse. Celles ou se regroupent ceux qui font l’opinion et partagent les secrets des dieux du stade.
Je me souviens qu’adolescent, j’avais un poster de Thierry punaisé au dessus de mon lit et que pour m’endormir je rêvais du jour où le commentateur le plus célèbre de France viendrait me chercher au lycée pour m’emmener commenter un match à ses côtés. Je me souviens aussi d’une émission de télévision qui promettait aux gamins de mon âge d’exaucer pour Noël leur rêve le plus cher.
Le mien était de serrer la main de Thierry et de son ami Roger Couderc. Ma lettre au Père Noël cathodique manquait sans doute d’ambition. Ma candidature est restée lettre morte.
Si j’ai porté Thierry aux nues, c’est qu’il a transmis sans le savoir sa passion à deux gamins de banlieue, désoeuvrés les jeudis après midi. Lorsque Duduche et moi refaisions le match avec une batterie de petits chevaux sur la table du salon.
Que mon ami défendait les couleurs de l’OGC Nice et moi celles de Sedan. Le temps était comme suspendu. A tour de rôle pour commenter les exploits des figurines en plastique, nous prenions Thierry comme modèle.
Cela commençait toujours par un tonitruant « Mesdames Mesdemoiselles, Messieurs, bonsoir ! Bienvenue au stade Emile Albeau ! Au stade du Ray »
Les années ont passé. Geoffroy Guichard, Marcel Saupin, Félix Bollaert et bien d’autres glorieux inconnus encore, se sont immiscés dans nos conversations secrètes.
Et puis un jour Duduche mon ami a déserté à son tour. Il est passé de l’autre côté du miroir et le stade de Créteil porte désormais son nom.
Thierry n’avait certes rien d’un intellectuel et ses positions controversées m’ont quelque fois mis très mal à l’aise. Mais j’ai toujours voulu privilégier chez lui, son talent inné pour susciter l’émotion pure.
Son sens profond de l’amitié surtout. Thierry n’a jamais triché. Il a toujours affiché ses convictions, quitte à diviser profondément l’opinion à son sujet, à remettre en question son propre confort de vie.
Thierry était le dernier des dinosaures du PAF. Le dernier à se moquer comme d’une guigne du qu’en dira t-on, des injonctions d’une hiérarchie. Thierry a fait l’essentiel de sa carrière à une époque où la fidélité en amitié signifiait encore quelque chose dans notre belle profession.
C’était avant la course à l’audience, avant les petits calculs égoïstes, la dictature des robinets d’eau tiède.
Pour Thierry, Robert et Roger, il n’y avait qu’une seule maxime « A la vie, à la mort ! » Maintenant qu’ils ont tous les trois accosté sans encombre sur l’autre rive, je me souviens de la peur panique qu’ils avaient des maladies et des souffrances.
Thierry aurait sans doute rêvé de s'échapper de la sorte avant même se connaître le résultat d'une finale. Comme Roger et Robert, Thierry s’est endormi paisiblement hier soir.
Après avoir assisté à la résurrection des bleus de France et à la victoire probante de l’Angleterre. La France et l’Angleterre, ses deux équipes de cœur réunies dans le même groupe et la même réussite comme pour mieux saluer leur supporter le plus fidèle.
« Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, au revoir ! »
« Tout a fait ! RIP Thierry ! »