L'enterrement de Thierry.

 

Il y avait foule à l’enterrement de Thierry. L’église St Clotilde, à deux pas des Invalides, à la nef pourtant si vaste et claire, était trop petite pour accueillir tous ceux qui de près ou de loin avaient cotoyé sa carrière de commentateur sportif.

J’ai croisé Teddy Chapatte, la veuve de Robert et pendue à son bras, la belle sœur de Raymond Marcillac, le premier directeur d’un service de sports de télévision  nommé en 1957 et décédé voilà 3 ans.

Jacques Vendroux, son double,  au micro, a proposé aux plus jeunes quelques repères de vie.

Le 2 mai 1966. Le jour où le patron de sports de France Inter croisa la route de Thierry rue Cognacq Jay et que ce dernier lui conseilla d’embrasser cette carrière de privilégié avec sérieux mais sans jamais se prendre au sérieux.

Tous les autres dinosaures de l’époque, ses amis les plus chers, ceux de sa jeunesse insouciante, Robert le pistard, Roger le chantre de l’ovale, Bernard son complice au micro, guettaient son transfert imminent dans l’équipe de  la grande prairie.

 Jacques a remercié Françoise, le regard dissimulé par d’imposantes lunettes de soleil,  de sa patience et de sa compréhension. «  On racontait les mêmes bêtises, celles qui ne faisaient rire que nous. »

Au premier rang, côté famille,  sanglotait Jean-Michel Larqué, inconsolable orphelin d’un tandem devenu boiteux. L’ancien capitaine de l’AS St Etienne incarnait idéalement la passerelle entre deux mondes naguère poreux, aujourd’hui hermétiques.

Il fut une époque où journalistes et stars du ballon  pouvaient envisager passer leurs vacances ensemble. Michel Platini, l’un des plus géniaux meneur de l’histoire, était venu spécialement de Varsovie saluer son ami, celui qui avait su en toute circonstance voler à son secours, sur et en dehors du terrain.

Tous les membres du Variétés en blazer officiel, rendirent un émouvant hommage à leur président à vie. L’occasion pour tous les amoureux du ballon, de réviser leurs classiques, dans un quiz intérieur et ému.

Juste en fermant les yeux, on embarquait pour Séville 82 ou le Mexique 86. Les stars des années 80. Trésor, Lacombe, Bossis, Fernandez, Giresse, Bathenay et tant d’autres encore, relégués au rang des anonymes au hasard des travées.  Cadres, éducateurs et présidents, à leur côté, témoignaient du poids de Thierry dans l’institution. J’aperçus pèle mêle  Thiriez, Houillier, Roux, Kombouaré et Martel. Au premier rang côté VIP s’étaient installés Patrick Bruel, Claire Chazal, Bernard Tapie, Rachida Dati. Une autre vision du football. Plus people, moins populaire.

Yannick Noah tout de noir vêtu resta à l’écart de ce cliché immortalisé par une meute de paparazzis. Dispersés aussi quelques uns des ministres des sports intronisés durant la la 5ème république. Drut, Douillet, Lamour, Fourneyron.

La carrière de Thierry avait embrassé tant de gouvernance au plus haut sommet de l’état et des médias. Mougeotte, Paolini, Tavernost, Bilalian. Tous ces chefs d’entreprise par leur présence rendirent hommage à l’artisan qui incarnait la voix du football.

L’orage que l’on annonçait violent s’était invité à l’improviste dans tous les bulletins météo. Il eu la délicatesse d’attendre que l’église fut pleine et que la cérémonie commence pour s’acharner sur les badauds qui stoïques patientaient sur le parvis. Ceux là se moquaient comme d’une guigne des intempéries.

Ils étaient venus en nombre rendre un hommage appuyé à l’un des leurs, lecteur assidu de l’Equipe et de France Football, supporter inconditionnel des bleus dans ce qu’il a d'attachant et d’agaçant à la fois.

Manquait juste la voix de Thierry, cette intonation entre mille reconnaissable.  On eut aimé qu’il ait cet après midi là le dernier mot. Quelque chose comme » Après avoir vécu cela, je peux mourir tranquille ! »

 Le ciel nettoyé par l’orage s’enferma dans un mutisme obstiné tandis qu’une limousine emmenait Thierry vers le cimetière de Passy.

 En 1998 dans cette France sacrée championne du monde Thierry avait évoqué un départ le plus tardif possible. Le destin arrangeant lui accorda un bonus de 14 ans. Juste le temps pour nos champions du monde d’oublier ce qu’ils devaient à Thierry. Aucun d’entre eux n’assista à la cérémonie.